
Éditions Grasset
Parution le 02/01/2020
Sélection Prix des Lectrices Elle 2020
Il est toujours difficile et très délicat de poser des mots sur une lecture aussi intime. Ce livre est bouleversant. La force dont Vanessa Springora fait preuve est immense à mon sens. Il en faut du courage pour se livrer de la sorte, à de parfaits inconnus que nous sommes, dévoiler cette intimité volée à quatorze ans.
Je suis fascinée par l’audace de l’auteure. Cette histoire est consternante, écrire avec tant de distance, comme si Vanessa Springora était à l’extérieur de son propre personnage. Prendre le recul nécessaire.
« Certains enfants passent leurs journées dans les arbres. Moi, je passe les miennes dans les livres. Je noie ainsi le chagrin inconsolable dans lequel l’abandon de mon père m’a laissée. »
C’est en découvrant son passé qu’on arrive à comprendre pourquoi c’est arrivé, ce terrain déjà tristement favorable. Comment elle a été l’élue… comme beaucoup d’autres, l’apprendra-t-elle ultérieurement à ces dépens. Cette absence de repères masculins a joué visiblement un rôle important dans le devenir de cette jeune fille, la privant des étapes essentielles de sa vie.
« Un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et, surtout, un immense besoin d’être regardée. »
Elle a eu ce cran incroyable pour dénoncer les faits de cet homme, face à qui elle s’est retrouvée en totale admiration. Un homme qui s’intéresse à elle. Un homme qui use et abuse de ce charisme, sous couvert de son image artistique.
« Comment ne pas me sentir flattée qu’un homme, qui plus est un « homme de lettres », ait daigné poser les yeux sur moi ? »
Ce récit est juste, chaque mot pesé. J’ai été désarmée par sa puissance, son haut niveau littéraire, son implacable écriture.
« La vie auprès de G. ressemble plus que jamais à un roman. Sa fin sera-t-elle tragique ? »
Apprendre ce que cet individu fait de ses histoires vécues, de ces jeunesses dérobées même aux yeux de tous, et son tour de force jusqu’à rafler des prix littéraires. On ressent comme un vent de révolte souffler sur nous.
« Il avait fait profession de n’avoir de relations sexuelles qu’avec des filles vierges ou des garçons à peine pubères pour en retracer le récit dans ses livres. »
« Avec G., je découvre à mes dépens que les livres peuvent être un piège dans lequel on enferme ceux qu’on prétend aimer, devenir l’instrument le plus contondant de la trahison. »
Ses victimes sont stratégiquement choisies, il s’immisce dans leurs failles émotionnelles comme un lézard se faufile entre les deux pierres d’un mur au soleil. Les pierres, sa réputation, solide. La faille, la fissure dans l’âme de celles et ceux qu’il charme, qu’il emprisonne comme une araignée qui tisse sa toile autour de ses proies. Le soleil, le courage de ce récit.
« La vulnérabilité, c’est précisément cet infime interstice par lequel des profils psychologiques tels que celui de G. peuvent s’immiscer. C’est l’élément qui rend la notion de consentement si tangente. »
« La littérature excuse-t-elle tout ? »
Cette question ferait un très bon sujet de dissertation au bac littéraire.
Rien ne peut excuser de tels comportements. Utiliser les livres pour publier de tels actes avérés, véridiques, peut aussi être considéré comme une sorte d’exhibition en soi.
« En jetant son dévolu sur des jeunes filles solitaires, vulnérables, aux parents dépassés ou démissionnaires, G. savait pertinemment qu’elles ne menaceraient jamais sa réputation. Et qui ne dit mot consent. »
Ce livre devrait être mis entre toutes les mains, garçons, filles, dans les programmes scolaires. J’ai dû laisser du temps filer et après maints brouillons, enfin réussir à écrire les sentiments, les ressentiments, les émotions que ce livre m’a procurés. Ce n’est pas une graine que celui-ci a semé en moi, mais un nouveau grand et bel arbre dans la forêt de mes coups de coeur littéraires.
Vanessa Springora, chapeau bas et immense respect pour votre oeuvre, qui a provoqué en Moi un véritable tonnerre intérieur !